dimanche 24 octobre 2010

The Social Network : vingt ans, milliardaire et seul.




Holà, los geekos !

Dur, dur de reprendre un blog en sommeil depuis cinq mois. De retrouver l'envie, l'inspiration, le temps, la solution miracle anti-procrastination, la certitude que ces lignes égocentriques ont un poil d'intérêt autre que la nourriture de mon nombril. Mais la reprise de JPoM me rongeait depuis un bail et les encouragements vraiment chouettes de certains d'entre vous ont fait le reste donc... voilà, c'est reparti. Rien ne me dit que plusieurs mois ne s'écouleront pas avant mon prochain post. Rien ne dit le contraire non plus. On va bien voir, les aminches. Carpe Diem, comme disait un certain poète obsédé.

Pourquoi aujourd'hui ? Peut-être l'envie de me faire un petit cadeau personnel en ce jour horripilant et récent de mes 39 ans (ego, nombril, toussa...). Le besoin de pédaler de nouveau en terres personnelles et fun après plusieurs mois d'écriture formatée pour mon ancienne rédaction.

Mais plus sûrement ça : depuis que je l'ai vu, The Social Network m'obsède et il faut que j'en parle. Au moment où je tape ces lignes, je fais tourner en boucle la B.O. sur Spotify, c'est dire. Attention, je dégaine la psychologie de kermesse pour tenter d'entrevoir une raison à cette OPA fincherienne sur mon coeur innocent. A la moitié de ma vie (en gros hein, en comptant large), j'ai pris deux grosses décisions et me suis embarqué dans une aventure :

- grosse décision 1 : vendre mon appart'
- grosse décision 2 : quitter mon job
- aventure : co-fonder Nowatch.net avec mes camarades et me consacrer un poil plus, à mon modeste niveau de contribution, au développement du site.

Je ne saurais exactement dire pourquoi mais tout, absolument tout dans le film de Fincher m'a parlé, questionné, ébloui, transpercé. Je suis entré en communion avec ce récit, ses dialogues, sa fougue, sa noirceur mélancolique, sa fluidité implacable. Je vois venir les sarcasmes des petits malins, donc je précise : je n'aurai pas l'outrecuidance de dresser le moindre atome d'esquisse de millième de comparaison entre Zuckerberg et la bande de croulants rêveurs et fauchés que nous sommes à Nowatch. Je veux simplement dire... qu'alors que je traverse une période que nous qualifierons de charnière, ce film a fait bing. Comme un Lost in translation, par exemple, pour d'autres raisons. Les 121 minutes de TSN, passées à la vitesse d''une connexion fibre, ont fait vibrer par deux fois une corde encore vibrante ce soir. A chacune des deux projections, je suis ressorti littéralement imprégné du film, de sa lumière et ses émotions dévastatrices, un carrousel de questions existentielles parasitant mes pensées si fréquemment sujettes au doute. Bref.... comme on dirait en amphi de socio, foin de palabres et revenons à l'objet.

Partons d'un principe : la critique suivante porte uniquement sur les qualités cinématographiques de TSN, pas sur sa conformité ou non aux faits. L'authenticité du script de Aaron Sorkin (qui s'est inspiré du livre La revanche d'un solitaire. la véritable histoire du fondateur de Facebook, de Ben Mezrich) est en soi un sujet passionnant, mais pas celui du post de ce soir. Jugeons le film, rien que le film.

Un critique imbécile du Masque et la plume (dont je tairai l'identité par pudeur conne) a conspué le film sous prétexte qu'il parlait d'Internet, selon lui le sujet le plus barbant au monde. Faut-il être à ce point myope et piteusement constipé du bulbe pour passer à côté des thématiques foisonnantes de The Social Network, pur volcan filmique en permanente éruption ? Sorkin et Fincher explorent, certes, les origines de la création de Facebook. Mais The Social Network va plus loin, tellement plus loin. Non seulement les géniaux duettistes nous livrent :

- LE film sur la génération Internet et son addiction au virtuel. Un film sur cette jeunesse 2.0 sans d'autres repères que le virtuel, fascinée par des gourous aux visions inquiétantes ("On a vécu dans des fermes, puis des villes, maintenant tout le monde vivra sur Internet" prophétise au détour d'une scène Sean Parker, fondateur de Napster et associé de Zuckerberg).

- LE film sur ces milliardaires en culottes courtes dépassés par leur ascension, obnubilés par le cool de la performance (ou la performance du cool, ça marche aussi).

- Pour le même prix, vous aurez aussi droit à un film sur une certaine Amérique capitaliste rongée par la compétition, qui célèbre uniquement les premiers. Et enfin, surtout, The Social Network reste une fable aux enjeux profondément humains.


La vertigineuse success story de Mark Zuckerberg nous est ici contée, certes. Mais c'est bien d'un effroyable échec qu'il s'agit. Celui de Mark Zuckerberg dans le monde des émotions. Ce n'est pas un hasard si le fabuleux script de Sorkin débute par une scène de rupture : au terme d'une conversation tendue comme une corde à linge dans un pub, la belle Erica jette le pauvre Mark pour excès de suffisance. La scène a une fonction narrative : blessé dans son orgueil (mais aussi dans sa chair), Zuckerbeg se vengera le soir même via son blog en y insultant son ex, puis via la création de Facemash - prémice du futur Facebook. Mais cet échec amoureux de Mark donne tout le ton du film.

Parallèlement au triomphe de Facebook qui fera de lui le plus jeune milliardaire du monde, Zuckerberg foire scrupuleusement ses relations avec la fille qu'il aime et son meilleur... pardon son seul ami (Eduardo Saverin, avec qui il crée Facemash). Nerd en sandales vissé à son écran tandis que ses camarades friqués organisent de torrides sauteries dans leur club ultra sélect, Zuckerberg est obnubilé par le pouvoir et l'intégration du club des puissants. Pour d'obscures raisons psychologiques zappées par le scénario (aucune trace des parents Zuckerberg, ni de presque aucun parents d'ailleurs....), Mark est incapable de concevoir la valeur d'un être autrement qu'à l'aune de sa réussite sociale et sa "cool attitude". Terminator avec un clavier, il écartera froidement Eduardo de l'empire Facebook au profit du tellement plus... cool et performant Sean Parker (Justin Timberlake). Réjouissant paradoxe : rarement ces derniers temps Hollywood nous aura offert une oeuvre aussi adulte, aussi prenante, quand bien même la majorité des acteurs n'ont pas 25 ans. En ces temps d'effondrement galopant du Q.I de la production américaine, ça fait du bien.

Côté forme, c'est la grande. Un constat : Fincher is back et The Social Network se montre aussi jouissif qu'un Wall Street, avec lequel il partage quelques algorithmes. Même témoignage d'une époque (Stone épinglait les rois de la finance, Fincher ceux d'Internet. Des tribus obsédées de pouvoir dans les deux cas. Sean Parker/Gordon Gekko, même pacte faustien ?). Même mise en scène totalement implicante, qu'il s'agisse des mouvements de caméra ou du montage trépidant. Même héros perdu dans sa quête de réussite, à ceci près que Wall Street ménageait une fin plus optimiste et moralisatrice que celle, simplement déprimante, de TSN.

Une chose est sûre : après l'ampoulé Benjamin Button, soporifique spielbergerie reniflant l'Oscar comme un chien truffier, le réal' de Seven retrouve la niake. Entre la rutilance expérimentale de Fight Club et les joutes verbales typiques des séries télé d'un Sorkin à son top, le cocktail fait mouche dés l'ouverture évoquée plus haut : une rupture entre Mark Zuckerberg et Erica, sa petite amie écoeurée par l'arrogance implacable de ce nerd froid comme une ligne de code. Au bout de quelques minutes de conversation dans la semi pénombre bruyante d'un des bars du campus de Harvard, le ton va virer à l'aigre et Zuckerberg se retrouver seul avec sa bière. Pour sûr, ça tchatche à la vitesse du son. Mais à condition de s'accrocher, la pression de ce ping pong savamment gérée par le tandem Fincher/Sorkin vous rive à l'écran jusqu'au point de rupture, qui vaut son pesant de violence mentale.




Les morceaux de bravoure formels s'enchaînent alors dans une ambiance automnale glaçante et stimulante à la fois : la séquence de la création de Facemash en montage alterné avec une soirée porno-chic organisée par des cracks du campus, celle de la boîte de nuit de Frisco et son vertigineux mouvement de grue, celle encore (instantanément culte) de la course d'aviron et ses changements de point démentiels traquant les hormones à l'oeuvre... Une virtuosité couplée à celle de l'écriture : bijou de précision, le scénario de Sorkin parie sur l'intelligence du spectateur avec sa valse narrative entre présent (les deux procès impliquant Zuckerberg, l'un contre son ami Eduardo, l'autre contre les jumeaux Winklevoss) et passé récent (la création et l'essor de Facebook). Le tout sans indication grossière à l'écran de l'année en cours...


La crédibilité de The Social Network, film résonnant si juste malgré les dénégations du vrai Zuckerberg, tient évidemment aussi à la subtilité de son interprétation. Sympathique dans Zombieland, Jesse Eisenberg éclate ici, funambule génial en équilibre surnaturel entre l'arrogance de son personnage et une sourde, incommunicable, détresse intérieure. Malgré ses milliards, Mark n'est rien d'autre, à la fin du film, qu'un sociopathe cliquant comme un zombie sur le propre outil de drague qu'il a créé. Andrew Garfield, attachant et poignant Eduardo, nous donne au moins une bonne raison d'attendre le prochain Spider Man. Quant à Justin Timberlake, il est tout simplement impeccable en Sean Parker dandy du web, beau mec shooté à la morgue et au charme mais plus parano et coké qu'un Delarue des grands jours. Il serait criminel enfin de zapper la contribution musicale électro du tandem Trent Reznor/Atticus Ross, imprimant au film toute sa mélancolie automnale (mon chouchou : le sublime et triste "Hand Covers bruise", illustrant la course nocturne solitaire de Mark après sa rupture).

David Fincher a sans conteste réalisé là un très grand film, peut-être son meilleur. Un trip sensoriel galvanisant vous donnant foutrement l'envie, en sortant de la salle, de bouffer le monde comme le font ces jeunes petits cons. Une fable cruelle où des ados richissimes se déchirent devant des avocats médusés par leurs anathèmes dignes de cours de récré. Une parabole sur la folie d'une société toujours plus rapide et connectée, où nous sommes tous engouffrés, le nez dans les détails les plus intimes de l'autre. Une romance tuée dans l'oeuf par un jeune homme amoureux mais écrasé par son orgueil et son incapacité à partager. Et accessoirement une rare expérience de cinéma qui m'a renvoyé personnellement à beaucoup, beaucoup d'émotions. Voilà les aminches, je crois que j'ai fait le tour, non ? Ha si, une dernière chose. The Social Network est un chef-d'oeuvre.


End of transmission....


The Social Network, de David Fincher. En salles depuis le 13 octobre.